
Mon travail s’inscrit dans la continuité de la photographie expérimentale contemporaine, en explorant la photographie vernaculaire et ses supports fragiles – en particulier les clichés sur verre produits par des amateurs, sans visée artistique initiale. Ces images modestes, destinées à documenter le quotidien, se révèlent aujourd’hui comme des matières vivantes, porteuses de mémoire et de survivances. Elles témoignent d’instants révolus tout en persistant dans le présent sous forme de traces, de fissures et de blessures.
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À travers la superposition de ces clichés-verre, je cherche à révéler la « survivance » : la persistance de formes et de mémoires qui traversent le temps. Chaque altération matérielle – effacement, fracture, opacité – n’est pas seulement perte mais puissance d’évocation. L’image devient un lieu d’« absence présente » : ce qui disparaît insiste encore, ce qui manque se rend visible autrement. Loin de figer le passé, ces archives révèlent la tension entre apparition et disparition, mémoire et oubli.
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Ma pratique s’affranchit de l’exigence de reproduction fidèle pour explorer les potentialités matérielles et sensibles du médium. Manipuler le verre, jouer de sa transparence imparfaite, de ses strates et de ses accidents, c’est ouvrir l’image à une nouvelle expérience. En réactivant des images vernaculaires par superposition et recomposition, je refuse leur statut d’archives dormantes pour leur offrir une autre vie.
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La mémoire ainsi travaillée est fragmentaire, lacunaire, inachevée. Ces photographies ne livrent pas un récit complet, mais la vibration d’un passé incomplet, brûlant dans ses silences. Les images vernaculaires, produites hors des circuits de l’art, sont riches pour penser l’intime et l’inconscient collectif : elles condensent une mémoire ordinaire, que le geste artistique peut révéler et transformer.
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Chaque superposition crée une image nouvelle, qui n’est ni documentaire ni purement esthétique, mais un palimpseste sensible. Toute photographie est un vestige : un fragment de monde arraché au temps. Ici, ce vestige est réactivé, recomposé, devenu paysage suspendu. Le spectateur est invité non pas à regarder mais à traverser ces strates, à ressentir la densité du temps et de la mémoire.
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Les paysages suspendus que je propose ne représentent pas un lieu réel mais inventent un espace intérieur. Ils sont le lieu d’une survivance, où l’absence devient présence, où l’image existe autant par ce qu’elle révèle que par ce qu’elle efface. Mon travail ne cherche pas à documenter mais à éprouver, à ouvrir un espace sensible où chacun peut reconnaître un fragment de sa propre mémoire.